Avis aux passionnés, ci-dessous le récit du JPR Team après leur abandon au Dakar 2015 en SSV Polaris RZR 1000.
Dakar terminé, quelle déception…
Après seulement 2 jours de course, notre aventure s’arrête.
Une succession de problèmes techniques qui n’auraient pas dû arriver, nous contraignent à l’abandon.
Après une nuit réparatrice de la fatigue énorme accumulée durant ces 2 jours, notre tristesse est immense.
Bien sûr, tout ceci n’est rien à côté de la mort d’un motard hier, qui aura payé de sa vie sa passion pour le Dakar.
Nous avons également appris les événements en France au siège de Charlie hebdo.
Nous savons que notre tristesse semble bien dérisoire par rapport à toutes ces situations dramatiques, mais nous sommes tellement déçus, qu’il est bien difficile de faire la part des choses.
Quelques mots sur le déroulé de ces derniers jours, pour vous faire partager l’aventure.
Passée l’euphorie du départ après le passage du podium à B.A dans une ambiance extraordinaire au milieu d’une marée humaine, c’est déjà le départ de la première étape.
Nous convenons avec Rémy de partager le volant à mi-course. Me voilà au volant du RZR au départ du Dakar 2015, le cœur battant mais étonnamment serein. Nous aurons passé plus d’un an à préparer ce grand jour.
L’étape est plutôt roulante, une piste en terre, des virages en épingle, des trous, des bosses, et la poussière des concurrents qui nous précèdent. Difficile de doubler malgré le système sentinel qui permet à chaque concurrent de signaler sa volonté de dépasser, la piste est souvent trop étroite.
Nous roulons vite, le RZR a un comportement très sain malgré le poids des 190 l d’essence embarqués. Les amortisseurs donnent pleine satisfaction et avalent tout. Je demande à Rémy de me signaler la mi-course pour changer de pilote, je pensais avoir fait 70 km, il n’en reste plus qu’une trentaine sur les 174 de la spéciale… On termine avec la sensation d’avoir bien roulé, nous apprendrons que nous avons fait le meilleur temps dans notre catégorie, avec 20 minutes d’avance sur le deuxième !
Nous sortons de la spéciale où nous devons rejoindre l’assistance qui n’est pas encore arrivée. Je coupe le moteur et déjà une foule de gens nous entoure. Les Argentins sont vraiment des gens sympas et adorent le sport mécanique. De tous âges, ils sont le long des parcours et saluent les concurrents. Une véritable ovation ! On pourrait presque se prendre pour des stars…autographes, photos, attention, la grosse tête nous guette ! Mais nous devons continuer à pouvoir entrer dans nos casques si nous voulons finir la course! Tout ça est plutôt amusant de partager autant d’engouement et nous profitons pleinement du moment.
Lors de la reprise de la liaison, nous voulons démarrer le moteur, mais impossible, plus de batterie…nous avons pourtant deux batteries pour pallier ce genre de situation. Un argentin avance sa voiture, mais au contact des cosses de nos câbles de dépannage, un arc électrique se produit et fait chuter le régime de la voiture qui nous dépanne. Pas de doute, nous avons un court-circuit important mais où ? Nous démontons tout le tableau de bord pour accéder au faisceau électrique. Il fait très chaud, le doute s’installe. Nous avons plus de 500 km de liaison pour atteindre le bivouac avec un temps imparti. Pierre et Marc nous ont rejoints. Finalement, après plusieurs heures de recherche de pannes, on finit par trouver…une batterie (pourtant hors de prix) est en court-circuit le premier jour. On branche tout sur une seule, et nous voilà repartis avec des heures de retard. On arrivera au bivouac avec moins d’une minute de retard sur le temps maxi alloué, bilan: 40 minutes de pénalité forfaitaire pour quelques secondes ! On dégringole dans le classement qui détermine l’ordre de départ du lendemain.
Nous nous couchons à 4h30 du matin pour un réveil à 6h30. Pierre est au top dans son rôle d’assistance, il percute, prend les devants sur chaque décision nécessaire, tout ça dans le bon ordre, rapide et efficace ! Marc qui a découvert les 2 véhicules en Argentine, a pris ses repères. Pas facile de savoir où sont les choses, outillage, pièces, tout est rangé au mm..
2h00 de sommeil pour le départ de la 2ème étape. La fatigue est là mais le moral est bon, la journée s’annonce difficile avec une spéciale de plus de 500 km que nous savons sélective, et une liaison d’environ 90 km. On sait que ça va être difficile, particulièrement à cause du Fesch, mais notre Polaris a tous les avantages pour ce genre de terrain, poids mini et capacité de franchissement.

Nous voilà au départ de la spéciale après une courte liaison de 20 km. Rémy est au volant, on se réjouit de la journée qui nous attend. C’est parti ! Mon roadbook sur les genoux, pas de difficulté de navigation, il suffit de suivre la piste qui monte dans la montagne, quelques notes pour annoncer des dangers et autres virages en épingle. Je trouve Rémy un peu raisonnable avec l’accélérateur, je ne dis rien, il a raison d’être prudent pour commencer.
La raison se transforme en timidité…je l’interroge, il me dit qu’il est à fond sur la pédale !? Le RZR qui d’habitude bondit de virages en virages, est mou…plus de pêche, et cela s’aggrave de mn en mn. Sur route ouverte, on se ferait dépasser par un scooter…on continu, espérant (un peu) que le phénomène soit passager et qu’il disparaisse comme par miracle, mais non…je cherche des explications…étrier de frein bloqué ? Frein à main resté serré (ça nous est arrivé), variateur bloqué..? Problème de boîte de vitesses..? Sûrement un problème évident tant le symptôme lui-même est évident. On décide de s’arrêter dès que possible, après s’être fait dépasser par plusieurs concurrents. On déclenche le sentinel pour informer les autres véhicules de notre arrêt sur le bord de la piste, un système génial pour la sécurité. On saute du véhicule pour en faire le tour. Rien d’anormal visuellement, j’ouvre le bouchon d’essence pensant à un reniflard bouché, la pression d’essence est bonne, les températures normales…j’ouvre le filtre à air, rien.
On fait encore 5 kilomètres à 30 km/h, on s’arrête sur un grand plateau venté au milieu de rien. On appelle l’assistance pour l’informer de la situation. Nous avons avec nous toutes les pièces électroniques et l’outillage nécessaires. Rémy n’est pas au mieux de sa forme, rien à voir avec le contexte …il semble malade…
Je commence par les contrôles basiques, échange des bougies, des fils HT, des bobines. Essai après essai, toujours le même problème, le moteur prend les tours mais s’engorge à partir de 4000 tours. Pas de réseau téléphonique sur nos téléphones argentins, j’appelle avec le satellite Quad Annecy, puis d’autres contacts en France pour un avis. Je procède par élimination, échange des sondes électroniques, des injecteurs, contrôle des faisceaux d’injection, l’essence débite normalement, rien n’y fait…un argentin qui passait par là en quad, s’arrête, il est mécano et prend la main, on ne sait jamais…les heures tournent, après les dernières voitures, les premiers camions passent devant nous. Iveco, Man, Kamas, et autres Tatra déboulent à au moins 130 km/h dans un bruit aussi énorme que la poussière qu’ils soulèvent !
Les derniers camions passent enfin, nous avons demandé à notre assistance de nous rejoindre maintenant que les derniers camions sont passés. Le camion balai arrive. Le voir dès la deuxième étape augmente l’angoisse du moment. On signe une décharge signifiant que l’on renonce définitivement à son aide. Il nous laisse de l’eau et de la nourriture, mais impossible d’imaginer rester là. Pour l’anecdote, la médecin du camion balai est de Saint Martin de Bellevue, à 10 km d’Annecy. Le monde est bien petit.
L’arrivée de Pierre et Marc nous soulage, Rémy semble allez mieux. Je passe la main sans malheureusement plus de succès.
Je parviens à joindre Vinegra Motors qui a fait le faisceau électrique et la cartographie moteur. Après plusieurs explications, il me conseille d’augmenter la pression d’essence. Pierre s’est renseigné, nous sommes quand même à 1600 m d’altitude, il pense que c’est peut être ça le problème. Moi je n’y crois pas, même un RZR de série fonctionne à cette altitude. Qui plus est, nous avons longuement évoqué ce sujet, et nous sommes sensés avoir un réglage qui nous permet de traverser la cordillère à 4970 m !
Pierre modifie la pression d’essence, le moteur semble tourner un peu mieux. On range tout et nous voilà repartis. Nous sommes tombés en panne vers 11h00 ce matin, il est quasi 18 h00 ! Que de temps perdu pour un problème inimaginable. C’est le premier sujet évoqué par la personne à qui nous avons confié le véhicule et qui devait pallier les problèmes liés à l’altitude. C’est en rage que nous reprenons la spéciale, mais cette fois la route est ouverte et nous redoublons de prudence. Rémy assure vraiment sur une piste avec de grosses pierres. Nous continuons de grimper jusqu’à arriver au sommet d’un plateau avec une vue magnifique sur des centaines de kilomètres. On entame une longue descente à flanc de falaise. Au fur et à mesure que l’on descend, le moteur retrouve son fonctionnement normal. Plus de doute, le problème est bien lié à l’altitude.
La température extérieure monte de façon impressionnante, pas loin de 40 degrés en fin de journée.
On prend une piste entre des arbres et premier plantage dans le Fesch.
Pas grave, nous n’avions pas encore dégonflé. Arrêt moteur, on sort les pelles et on dégage le Polaris. On remet les casques en nage. Rémy tente de démarrer mais en vain. Plus de batterie ! La deuxième batterie est elle aussi défaillante, malgré un circuit de charge qui fonctionne.
Un vieil Argentin torse nu déboule à pied, au beau milieu de nulle part. Avant tout, il nous fait signe de boire. Il comprend vite la situation et revient avec un vieux 4×4 et deux amis. Un coup de sangle en arrière et nous voilà sortis. Un coup de câble avec sa batterie et notre moteur redémarre, ouf..On comprend immédiatement que nous ne devons plus caler, le roadbook annonce des kilomètres de fesch, la chance ne passe jamais deux fois.
On ignore encore ce qui nous attend, on sait seulement qu’il nous reste encore 500 kilomètres, dont 400 de spéciale et que nous devrons rouler toute la nuit pour arriver à être au départ de la 3ème étape, au maximum avant 11h00 le lendemain.
On s’enfonce dans une piste bordée de végétation et d’arbres, impossible d’en sortir. Deuxième plantage. Chaque fois, au moins 20 mn pour sortir du véhicule, sortir les pelles, les plaques, se rattacher, et repartir avec l’angoisse de ne pas se replanter. Il est dément d’avancer dans le fesch après que les camions soient passés. Nous tombons dans des ornières énormes. Sans la panne idiote que nous avons eue, nous serions passés avant les camions sans commune mesure de difficulté. Évidemment, on se plante à nouveau, et pour en rajouter, la nuit est tombée.
Rouler dans 60 cm de farine ou de talc, c’est exactement ça !
Notre simple déplacement soulève un nuage énorme de particules fines en suspension dans l’air, celui-ci nous rattrape et c’est la nuit totale qui s’abat sur nous !
3 à 5 secondes secoué dans tous les sens, durant lesquelles il faut continuer d’accélérer à fond sous peine de sanction immédiate, le RZR se plante. Un pilotage à l’aveugle, véritablement anxiogène…
La piste est de plus en plus défoncée et on avance par à-coups, entre les plantages successifs.
La fatigue laisse place à l’épuisement, chaque effort coûte, toujours le même scénario, on brasse des kilos de fesch avec nos pelles, on place les plaques de dessablage, je suis au volant, Remy reste à côté du Polaris pour récupérer les plaques et me rejoint à pied, là où j’aurais pu m’arrêter sur une surface un peu plus porteuse pour pouvoir repartir. La plus grande distance avant que je puisse m’arrêter l’aura fait marcher une heure pour me retrouver. On ne parle plus, on regarde nos montres, on calcule les heures et les kilomètres, on ne sait même pas mesurer les difficultés à venir tant la piste défoncée ne ressemble plus à celle décrite dans le roadbook. C’est devenu vraiment difficile physiquement. La nuit presque blanche de la veille, le stress du temps qui passe, l’effort pour dégager le RZR, la crainte de se planter à nouveau, la peur de caler sans pouvoir redémarrer, comme si tout cela ne suffisait pas, nous avons déjanté deux roues que nous devons changer dans cet enfer. Nous déjanterons encore 2 fois. Cette fois, plus de roue, nous continuerons jusqu’à la fin avec deux pneus déjantés. On imagine la satisfaction de Pierre et Marc nous voyant arriver in extremis le lendemain au bivouac, ils ont tout préparé et nous attendent, on ne peut pas faire tout ça pour rien. On se déplace au ralenti, je vois la tête de Rémy, à faire peur… les traits tirés, du sable partout, avant de réaliser que je dois avoir la même…



De ma vie entière, je n’ai connu pareil épuisement. On s’écroule à tour de rôle dans le sable pour dormir quelques minutes. On veut absolument rejoindre une station essence dans moins de 5 km pour regonfler les pneus déjantés. Il s’avérera qu’il s’agissait d’un point de ravitaillement essence pour les motos, il n’y a plus rien.
Ultime plantage ou nous constatons que nous avons perdu une valise étanche avec une partie de l’outillage et des pièces. Je fais environ deux kilomètres pour la rechercher, sans succès. Je retrouve Rémy qui dort à même le sol. Sacré bonhomme que ce Rémy, on a la même rage d’y arriver, on ne peut pas imaginer abandonner si vite.
On retrouve enfin une piste roulante. 30 km à trente à l’heure à cause des deux roues déjantées. On arrive au petit matin à l’entrée d’une petite ville ou des Argentins nous accompagnent jusqu’à un petit garage ou nous réparons nos roues. Je téléphone avec le Satellite à Pierre qui a pris des renseignements au PC course. Les prochains 250 km sont pires encore. Impossible d’arriver dans les temps, nous devons nous résigner à l’abandon sans bien en prendre conscience. Une forme de soulagement s’installe. On nous accompagne dans un endroit pour boire et manger. Nous attendons que Pierre et Marc nous rejoignent, ils sont à environ 250 km. Nous trouvons un hôtel improbable avec une grande piscine, la transition est brutale. Nous nous retrouvons, tellement déçus. Un bon repas dans un restaurant très typique et on s’effondre en quelques secondes.
Ce matin, le réveil est bien difficile. On a récupéré, on prend pleinement conscience que tout est terminé. Je craque en pensant à tous ces efforts durant un an. Tant d’énergie et d’investissements gâchés par la négligence de certains. Notre travail ne nous a pas récompensés. Nous aurions tant aimé arriver au bout aussi pour nos familles, nos amis partenaires qui nous ont tant aidés, pour Pierre qui s’est tellement investi ces derniers jours.
Le sourire est revenu, il paraît que la victoire se construit par les échecs.
A bientôt.
JPR Team.